Moi, mes souliers…

J’ai appris trés tôt à « retourner les espadrilles », avec la grand’tante Antoinette (Antonia de son vrai nom) qui était 2 fois ma grande tante et, conséquemment , ma seconde mère. Antonia était la soeur de ma grand-mère maternelle et la soeur d’une tante de mon père. Elle ne s’est jamais mariée, consacrant sa vie à s’occuper des neveux, petits neveux et arrière-petits neveux. Quand j’ai fait mes études secondaires en ville, j’ai, comme me 2 fréres, été hébergé par la tante Antoinette car les parents demeuraient à 10 km de la ville; et, il en fut de même pour les frères et soeurs de ma mère, et leurs enfants et leurs petits enfants. Je ne peux me représenter ma tante autrement que devant sa grosse machine à coudre Singer: elle confectionnait des espadrilles pour un entrepreneur juif, entre 250 et 300 paires par semaine! On n’imagine pas aujourd’hui ce que cela représentait. Antoinette recevait un amas de piéces de toile découpées en forme de poire. On se représente une poire coupée en 2, la queue en bas: on coupe comme si on voulait enlever le coeur; cette partie est enlevée, le haut servant à renforcer la partie de l’espadrille qui recevra les lacets, l’autre, plus petite, va permettre de renforcer le talon. C’est la base. Une fois ces 2 parties cousues, il faut « retourner l’espadrille » afin que les coutures ne soient plus apparentes en doublant l’endroit qui va recevoir les lacets. Voilà ce que je devais faire, en plus d’essuyer la vaisselle et d’aller remplir la bouteille d’huile d’olive chez l’épicier arabe. En échange, Antoinette me fournissait le gîte et le couvert et, surtout, me permettait quelques interdits, tout en faisant semblant d’aller tout dévoiler à mes parents: fumer mes premières cigarettes et sortir tard le soir. Elle me suggérait, à l’occasion, d’écouter la radio française (Radio Monte-Carlo ou Europe No 1). J’ai entendu ainsi le tout premier spectacle de Félix Leclerc en France et j’ai retenu la chanson « Moi, mes souliers » . Chère Antoinette…

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Trois-Rivières
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