Qu’est-ce que j’trimballe

Pour moi, ça va !
J’tiens bien la route,
Même si j’la tiens toute
Faut pas s’affoler.
J’suis bien parti
Et j’vous enverrai
Des cartes postales.
Ah! qu’est-ce que j’trimballe..,
Entendue vers la fin des années 1960, cette chanson me hante. Je la chantonne dans ma tête et cherche avec obstination qui la chante. Le chanteur-compositeur, trouvé récemment grâce à Magic-internet s’appelle Michel Noiret (ou Noirret, selon sa convenance) n’a pas fait fortune sur disque; il a écrit, fait des spectacles sans attirer l’attention. On comprend: il tient du dadaisme et de Coluche, fait dans l’absurde et la dérision. « Camembert en janvier, plein soleil en juillet », disait-il: rien pour ameuter l’opinion publique. Chaque fois que j’ai pris un coup de trop, j’ai entonné cette pièce de musique qu’il chante avec une conviction contagieuse. Ma première fois, je viens d’avoir 13 ans. Les soldats français occupent la ferme où nous demeurons en Algérie; il y en a partout (environ 200), dans l’écurie, dans les entrepôts, dans les silos. Avec leurs véhicules, leurs mitraillettes et leur canons. Ils ont installés leur lits pliants de façon à occuper au maximum le local attribué: chacun s’est organisé son petit coin avec photos et affiches sur un bout de mur, livres ou radio sur un semblant d’étagère, souvenirs et petits trésors cachés dans une cantine sous le lit. Les journées sont longues: manoeuvres le matin, sieste en début d’après-midi, pétanque ou football ensuite. On appelait cela la « pacification »; l’armée française était là pour défendre la patrie face aux fellaghas (les prétendus « terroristes » qui voulaient faire l’indépendance de l’Algérie), mais, dans notre coin, il ne se passait rien. Les militaires glandaient et ils terminaient leurs journées au « mess »: on y jouait aux cartes, on fumait des « caporal », la bière et le vin coulaient à flot. Comme le militaire était à domicile, faute d’ami à 13 ans, je le fréquentai, jouant aux cartes ou aux boules, déballant son colis reçu de la « métropole », partageant sa charcuterie et sa confiserie et son spleen. J’étais bienvenu au « mess » et une petite bière m’était offerte quand je m’y présentais. Un jour, après une partie de pétanque où ma contribution à l’équipe fut mémorable, tous et chacun voulaient me payer une bière. Chez nous, le souper était à huit heures et personne ne devait le manquer. Moi, je cuvais mon houblon et riais des facéties de mes copains soldats. À huit heures 10 est arrivé Lutin au mess. Lutin, c’est notre chien berger allemand: quand il était tout petit, je lui ai donné le biberon, lui  est montré à faire son pipi dehors, l’est dissuadé de courir après les poules, me suis battu avec lui pour rire… Presqu’un frère Lutin et le voilà qui traverse le « mess » jusqu’au comptoir, qui me prend la main dans sa gueule et qui m’entraine jusque chez nous. Moi, je ris, je plane, ne réalise pas tout à fait jusqu’à la réaction terrible de mon père: il aurait pu me tabasser sans l’intervention de ma mère. On m’ a finalement envoyé dans la chambre en arrière sans manger. Vers 11 heures, alors que tous dormaient et que je me morfondais, ma mère est apparue avec un bol de soupe et une tranche de pain…

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Trois-Rivières
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